Dimitri Essakia
(Traduit du russe par Nadia Bountman et Bernard Hoepffner)

EN GUISE DE (bref) PROLOGUE (ou si vous préférez,
CHAPITRE 0)

Tout a probablement commencé (de la table...
avec la table...
non, - près de la table...
ou plutôt)
sur la table
(et c'est par elle que tout commença, mais sans elle rien ne commença qui pourtant fût... ("La vie était devant et la vie était la lumière des hommes; et la lumière luisait dans les ténèbres, et par les ténèbres il ne fut pas englouti.") Ce sera(it) plus juste et mérite d'être mentionné tout à fait à part: premièrement, de toute façon parce que sans table il est absolument impossible d'imaginer la vie humaine (dresser la table,
convier à table,
se mettre à table;
- bien manger et boire quelque chose de délicieux entamer une chanson ou tout simplement parler
(de la pluie et du beau temps), et enfin s'endormir tranquillement (sur,
devant
ou
(à la rigueur) sous la table);
et deuxièmement, cette liaison étroite entre la table et le genre
(et l'être) humain est évoquée (entre autres) par la mythologie antique (il suffit de se remémorer, par exemple, le mythe célèbre du roi Oedipe qui parvint à résoudre le problème (sans solution) de l'homme posé par le Sphinx (être humain: "...le matin il est sous la table,
l'après-midi à table,
le soir - sur la table")
).
À vrai dire (en tout cas sans façon), le commentaire qui va suivre pourrait paraître (apparemment (plus tard)) salutaire. En fait, depuis l'Antiquité, la tradition (durable) de "la pensée (dite) prélogique" (c'est-à-dire "imperméable aux contradictions") fondée sur "le principe (dit) de participation", (qui (et cela semble essentiel), de nos jours, est non seulement assez répandu sous une forme rudimentaire dans la vie quotidienne mais rend souvent (!) des services inappréciables dans les arts (et, peut-être même, à la culture en général)) identifie (selon la sémantique) la table (Trapeza - signifie "à quatre pieds"): d'un côté - avec le lit nuptial des jeunes mariés (sur lequel commence une nouvelle vie (liée au festin et à la joie)) et de l'autre côté - avec la couche du grabataire (sur laquelle s'achève la vie antérieure (liée aux funérailles et à l'affliction)) - c'est-à-dire "comme dans le conte où deux jouvenceaux, leurs chevaux et leurs lys, sont tous, en un sens, la même chose". Ainsi, (se permet-on de remarquer) le rêve ("endormissement" - "éveil"), compte tenu des considérations susmentionnées (et entre autres) peut être interprété également (c'est-à-dire, simultanément) comme (d'un côté, -) "la mort" (mais pas dans la vie réelle (c'est-à-dire concrète)) et (de l'autre, -) "la vie" (mais pas dans la réalité de la mort (éventuelle)) - qui sont ambivalentes (si on reprend le terme à la mode (mais ceci déjà dans une autre tradition (culturelle)): ("naissance" - "dépérissement", (ou au contraire) "décès" = "renaissance" - avec les dérivés (intermédiaires) des mots "endormissement" = "éveil" : "veille" = "rêverie" (ou au contraire) "illusion" = "réalité")). De l'importance de la place qu'occupe la table couverte de papier (en tant que lieu des "rêves", "songes", "souvenirs", "visions", etc.) lors du passage de la culture écrite à la culture orale, - témoignent irréfutablement d'innombrables exemples de textes (surtout "littéraires") variés (et y compris celui que vous êtes en train de lire)...
Alors
(même) que (il faudrait remarquer que) la table (quelle qu'elle soit (de cuisine ou de travail ("pour célébrer les festivités" ou "pour écrire"))) se situe entre ("au centre" des notions les plus archaïques que l'homme a du monde, car "la table", du point de vie de la culture universelle (c'est-à-dire, à condition qu'il s'agisse plutôt du sens "mythologique", non "idéologisé" par la civilisation) est toujours en bois (!) et (donc) son emplacement cosmique (en tant que table, il suffit d'elle-même pour représenter cet emplacement) se situe (d'après le modèle mythologique de la cosmologie géorgienne (en particulier)) dans le monde dit "médial" - ("intermonde" - avec ses structures sacrées et profanes), en d'autres mots, le plan-limite sur la surface horizontale duquel s'entrecroisent les mondes "supérieur" et "inférieur" (correspondant au "surmonde" et au "sousmonde" avec leurs sphères "divines" et leurs "cercles" de comédie) - de l'anthrôpos (entre deux âges (avec toutes les connotations imaginables)) qui y (c'est-à-dire, à table) est invité pour la collation) ciel (au-dessous) et terre (au-dessus) et, également, au centre ((de la surface horizontale avec tout ce qui s'y trouve), de deux mondes - antéposé (dans le cadre du modèle mythologique géorgien de l'univers nommé "antémonde" conformément à l'idée mythologique "festin-ici") et postposé caché dernier son dos (nommé, évidemment, "postmonde" conformément à l'idée mythologique "malheur-là" (liée, semble-t-il, à l'interdiction pour le néophyte de regarder en arrière lors de la célébration des cultes anciens)) - qui s'ouvraient devant ses yeux) de la vision humaine. (Mais ceci ne suffit pas ((encore) à donner une image cohérente) puisque tout ((ce qui existe) ne serait-ce que l'éternité aussi infinie soit-elle) devrait avoir des contours (quoique à peine perceptibles) pour toutefois (prendre une forme et y) trouver sa raison d'être (sinon tout (ceci) perd (tout) son sens - aussi longtemps qu'il est impossible de saisir celui-ci), or il y a aussi le monde "extérieur" ("extramonde", sa sphère entourant les phénomènes susmentionnés) derrière lequel on voit le néant (: ténèbres, nuit et chaos (point crucial de toutes les fins et de tous les commencements; un gouffre béant omni-développant omni-engloutissant, ayant engendré - en tant que principe de la création ininterrompue des corps désarticulés (selon la tradition antique), - Érébus (avec son royaume serein) et la Nuit (avec ses lubies) (dont l'union incestueuse (en dehors du cadre cosmique - car il n'y en avait pas) fut le fondement de tout le reste)), - bien qu'un certain point de vue puisse amener à la conclusion selon laquelle celui-ci (néanmoins) est déjà quelque chose (de)...). Enfin, à cet endroit (par ceci (et ainsi)) se serait achevé (serait épuisé cette brève (" " - (?)) introduction improvisée (ou plutôt ce qui l'avait remplacée), et si elle n'avait jamais existé personne n'aurait imaginé) la fascination (quelle que soit sa longueur (et son étendue)) pour la merveilleuse perfection (où tout(e chose) est à sa place), - si ...

 

 

 

(REMARQUE: - Toute oeuvre romantique doit reposer sur une histoire authentique.
F. Schlegel
- fin de la remarque)

 

 

 

Solon, Solon le sage - poète et législateur illuminé de l'Athènes antique, devancier de l'épanouissement mystérieux (ou, si vous préférez, miraculeux) de la Cité (qui, d'ailleurs, fut témoin (en gardant son opposition "furieuse") de la tyrannie (laquelle le poussa à quitter son pays natal et à terminer ses jours en exil volontaire) originale (comme tout ce qui provient de la Grèce Antique) de Pisistrate)) - était déjà à l'époque un homme âgé quand, lors des Grandes Dionysies, un certain Thespis, jeune homme trapu (dont nous ne savons toujours que très peu (de choses)) sortit (comme d'habitude) avec ses choristes dans les rues d'Athènes (ou, adonc, il y avait skéné! proskenion! orchestra!), se sépara de son choeur, planta une table (!) au milieu de la place, s'y hissa (!!) et de là (c'est-à-dire de la table!) entama le chant de ses dithyrambes (en l'honneur du dieu célébré), en évoquant Héraclès le héros (demi-dieu) légendaire de l'Hellade antique (!!!)... Selon le chroniqueur, après cet incident (alors jugé scandaleux), entre Thespis, premier poète tragique (qui en fut acteur) et Solon, premier législateur sage (qui en fut témoin) la conversation suivante eut lieu:

SOLON (avec une ironie amère et un pressentiment perspicace) N'es-tu pas honteux, toi, Thespis, simple mortel, de te hisser sur cette table ici devant l'assistance et de "mimer" publiquement le meilleur des Achéens?!

THESPIS (confus, mais avec un enthousiasme juvénile) Oui, mais... ce n'est qu'un jeu!

SOLON (déçu, mais imperturbable, après un court silence, le plus court possible) Dorénavant tout sera jeu...)), -

 

 

"Ici, à cet endroit, commence une nouvelle époque de l'histoire universelle"
(il s'agira des paroles prophétiques prononcées par un éminent poète et penseur allemand, l'auteur du "Faust" immortel qui se trouvait, après la défaite de ses compatriotes, dans le camp retranché près de Valmy 2 1/2 mille ans plus tard, à la veille du XIXe siècle)

 

 

 

sur le vieux (large) bureau (bien solide) en chêne de mon grand-père (au milieu des livres et des feuilles couvertes d'écriture) avec une feuille de papier vierge (- tabula rasa ou, si vous préférez, - carte blanche (la langue ((avec ses règles) et notamment son orthographe), par exemple, rend (encore plus) séductrice l'exploitation de (et le plaisir que l'on prend à) cette (peu importe son éphémérité) liberté (sur ce bureau))) et un (petit) buste de Napoléon en plâtre polychrome (- en face de cette feuille blanche, retenue par la main gauche, tandis que la main droite tient un stylo et y (c'est-à-dire sur la feuille) laisse (ou a (déjà) laissé) sa trace saccadée...)...
CHAPITRE I

"Au bord de la route de Satchikvano-Kodory près du pont sur la rivière Khatchou du côté droit dans une cour assez vaste se dressait une ancienne oda mingrélienne ("oda" - c'est la maison mingrélienne sur pilotis) de planches de chêne ou de châtaignier. Au bord de la route un frêne au feuillage dru était planté dans la haie. La haie et la route étaient séparées par un fossé. Un portillon d'ais était bricolé en forme de "w" russe barré en biais. On n'ouvrait le portillon que pour laisser passer les charrois et les cavaliers. Les passants y entraient également [illisible]... Au printemps près du portillon se vautraient les cochons embourbés à bout de forces avec leur jouguet, ils saluaient les passants par des grognements, ils soulevaient rarement leur tête et ne se fatiguaient pas pour chercher à se tenir debout. L'oda était loin du portillon. Du portillon en allant vers l'oda au milieu il y avait deux frênes de même taille distants de trois mètres l'un de l'autre. À l'angle droit de l'oda il y avait un grand mûrier rameux [illisible]... La route de Satchikvano-Kodory côtoyait au fond de la cour la cour du prêtre Nikoloz Tchikovani et se divisait en deux: à droite vers l'église Saint-George, à gauche vers Kodory. Derrière l'oda à distance de vingt ou trente pas il y avait une cuisine. Une petite cabane était aussi en planchettes de châtaignier. À gauche de la cuisine à l'emplacement de la cave je ne me souviens que des festins joyeux, et encore plus à gauche il y avait une baraque en planches de chêne, et encore plus à gauche une grange et enfin [illisible]... À droite de la cuisine - un potager clôturé et derrière - le jardin fruitier entouré d'une palissade. Dans le jardin près de la cuisine il y avait un puits. Et derrière - les champs clôturés par des palissades. Les champs étaient séparés de l'espace habité par des argousiers embrassés de lierre sur lesquels les corbeaux se posaient et croassaient. Devant la grange il y avait un prunier très haut et tout autour de la cour par-ci par-là il y avait des arbres fruitiers et ordinaires. À droite de l'oda et de la cuisine il y avait deux grands pruniers: le premier s'appelait "Kopoula" et l'autre "Sazamtro". À droite du petit grenier avant même que commencent les arbres fruitiers il y avait trois plaqueminiers très hauts. Derrière les mûriers, tout là-bas, derrière les champs labourés il y avait un énorme chêne rameux. Entre la cuisine et le petit grenier jusqu'à la lisière des champs serpentait un sentier étroit qui aboutissait à la cour de Béja Sourmava, d'où on passait dans une ruelle qui menait à la station Abacha, séparée de nous par la distance de trois kilomètres. En face de l'oda et du portillon près de la route il y avait un haut cerisier aux branches élaguées..."