Tout lieu public
sera dorénavant un havre de santé, y seront respectés,
non seulement les droits, mais aussi la santé des êtres
humains qui s'y trouvent, quel que soit leur sexe, leur race ou
leur âge. Il est donc interdit d'y exposer son prochain
aux exhalaisons nocives de cet alcaloïde qu'est la nicotine
(que tout un chacun pourra continuer à infliger, en fonction
du rapport des forces en vigueur chez chacun, en privé).
Il ne s'agit pour l'instant que des lieux publics, mais il appert
que cette restriction - ou plutôt cet élargissement
de la liberté de tous - ne tardera pas à s'étendre
à l'ensemble de l'espace public, c'est-à-dire à
tout l'espace à l'exception des espaces privés.
Une telle mesure ne
peut décemment pas être critiquée, il est
politiquement bienséant (PC, c-à-d Politically Correct)
de vouloir la santé de tous, et d'accepter le rôle
de l'Etat comme garde-chiourme de notre santé collective.
Notons toutefois que l'Etat juge bon d'augmenter progressivement
le prix du tabac afin que ses revenus - rognés par le nombre
de PCs qui auront fini par se rendre aux pressions physiques et
morales qu'il exerce sur eux, qui auront compris que le plaisir
passager et infantile que procure la cigarette ne compense pas
les tracasseries qu'occasionne son usage et qui auront rejoint
la majorité des non-fumeurs - ne se trouvent pas diminués.
Mais il faut être
logique, et surtout ne pas s'arrêter sur une route aussi
prometteuse, la voie républicaine qui mène droit
à une humanité saine, heureuse et fière de
l'être, bientôt capable de faire pénétrer
dans ses poumons écouvillonnés les magnifiques relents
d'essence dont elle ne pouvait pas auparavant pleinement apprécier
la saveur. Il faudra bien un jour que cet assainissement de nos
moeurs vienne envahir l'espace tout entier, public et privé,
car les enfants, asphyxiés par leurs parents récalcitrants,
PCisés dès leur plus jeune âge par le climat
d'hypocrisie générale, finiront bien par faire interdire
cette pratique dans les maisons et les appartements.
Ce n'est encore qu'un
début, d'autres combats nous attendent, mais oublions pour
l'instant les exhalaisons nocives de CO2,
chantons sous les pluies acides, glissons sur les crottes de chiens,
il ne s'agit là que de broutilles dont personne n'est spécifiquement
responsable, de faits de société dont nous payons
volontiers le prix car nous sommes avides des bienfaits dont ils
sont la face visible. Il est un autre vice qu'il faudrait interdire
dans les lieux publics, (et il faut bien spécifier que
par "lieu public" j'entends tout espace qui n'est pas
privé, où toute personne [que dis-je, tout être
vivant - avez-vous déjà entendu le cri de l'éperlan
atteint par une décharge de chevrotines, le hurlement du
tronc conique de la carotte sectionné en deux par une balle
cylindro-ogivale?] peut librement vaquer), je veux dire l'usage
des armes, et plus spécifiquement des armes à feu.
Au contraire de l'usage
du tabac, celui des armes n'a pratiquement pas de conséquences
nocives pour l'utilisateur actif tandis que l'usager passif, lui,
en prend plein la gueule, pour ainsi dire. Il faudrait donc restreindre
l'usage des armes à feu aux espaces privés. Malheureusement,
comme nous le montrent trop souvent les événements
de Yougoslavie et de nombreux autres pays, pour qu'une telle restriction
soit utile, elle devrait être accompagnée d'une définition
plus précise de l'usage des armes à feu:
L'usage d'une arme à
feu englobe aussi bien le point de départ de la trajectoire
du projectile que son point d'impact (étant entendu qu'il
s'agit là de l'impact effectif et non pas de la cible visée
par l'usager - souvent ratée).
Cet usage ainsi défini
devra donc être limité aux espaces privés.
Finis les francs-tireurs qui tirent depuis les fenêtres,
finis les tirs de canons depuis des casernes; toute personne pourra
désormais vaquer tranquillement et à toute heure
dans les rues et autres espaces publics. On permettra néanmoins
l'usage des armes à feu, entre personnes consentantes,
dans des lieux leur appartenant. On permettra aussi, dans un premier
temps, et ceci pour ne pas trop brutalement priver de ce vice
les personnes qui s'y adonnent, le recrutement sur la voie publique
d'âmes soeurs acceptant, de leur plein gré, d'être
des utilisateurs passifs, mais l'usage lui-même ne pourra
se faire que selon les conditions énoncées plus
haut.
Une logique, pour être
vraiment logique, doit aller jusqu'au bout de sa logique. L'usage
des armes à feu est un vice, tout comme le viol, la viole
mal accordée, le tabac, la vivisection (d'animaux comme
de plantes), le hérissonicide aveugle dont sont coupables
les automobilistes, le bourrage de crâne institutionnel,
le labourage de terres qui auraient dû rester en jachère,
la publication de livres pour raison de chiffre d'affaires, le
racisme et les balivernes qui voudraient nous faire croire que
l'homme est supérieur à tout ce qui l'entoure. Et,
tout comme il semble que nous soyons déjà protégés,
dans les lieux publics, des images de sexes en érection,
il faudrait que nous soyons protégés des images
d'armes à feu en érection que nous assènent,
entre autres, les affiches de films où des acteurs (en
général de sexe masculin) s'adonnent au plaisir
solitaire (il est rare d'apercevoir l'utilisateur passif) de la
branlette sur automatique, fusil à pompe ou mitrailleuse.
Il faudrait aussi que ces personnalités qui n'acceptent
d'être photographiées qu'avec une arme amoureusement
caressée (je pense à un ancien président
de club de football, au rabbin Levinger, à de nombreux
écrivains américains), aient leur arme immédiatement
retouchée sur les photographies qui apparaissent dans les
journaux, pour être remplacée par un hochet, un sexe
(le leur), une fleur ou même une cigarette. Tout comme nous
avons vu disparaître en vingt ans les cigarettes des lèvres
des acteurs et des actrices dans les films, pourquoi ne verrions-nous
pas aussi disparaître les armes à feu? Nos présidents
n'ont plus la clope au bec - qu'on interdise aux soldats de défiler
armés.
Mais la logique peut
encore aller plus loin; il faudrait tout simplement interdire
la fabrication des armes à feu; il faudrait que nous acceptions
que, tout comme l'Etat est hypocrite lorsqu'il dit vouloir se
débarrasser du tabac alors qu'il ramasse tant d'argent
grâce à lui, nous n'avons pas le droit de nous apitoyer
sur le sort de pauvres civils brutalement assassinés par
de fanatiques utilisateurs actifs quand il est fort possible que
l'arme vienne de nos usines et que sa vente nous ait rapporté
gros. Je ne sais pas exactement quelle est la part du PNB qui
provient de la vente des armes, mais la France est toujours citée
comme l'un des premiers pays producteurs d'armes, ce qui fait
que lorsque nous voyons un ministre nous annoncer fièrement
que le déficit commercial a été éliminé,
ou du moins réduit, nous ne pouvons pas nous empêcher
d'associer - abusivement, il va sans dire - les chiffres qu'il
nous donne à la progression des combats en Yougoslavie,
au nombre croissant de gens assassinés sur la voie publique
et en vêtements civils dans le monde entier? On me dira
évidemment que je suis cynique, mais lorsque j'apprends
que des observateurs européens ont été abattus
en Yougoslavie lors d'un trajet en hélicoptère,
lorsque j'apprends que des miliciens ont tiré sur un camion
venant fraternellement apporter de l'aide aux réfugiés,
je me demande si ce n'est pas justement la vente de ce lance-missiles,
de ces fusils, qui a permis d'acheter cet hélicoptère,
ce camion de médicaments; on peut s'étonner aussi
de voir quelqu'un accusé de trafic d'armes avec le Liban
conduire aujourd'hui les convois d'aide humanitaire vers la Bosnie.
Le stock actuel d'armes
à feu en tous genres est nécessairement immense.
Une réglementation de l'usage de ces armes telle qu'elle
a été proposée plus haut ne permettrait jamais
de réduire significativement, sinon les armes elles-mêmes,
du moins les munitions. Une solution existe, une solution nécessairement
temporaire, la création d'un immense lieu privé
quelque part sur la planète, un lieu inhabité, un
désert par exemple, sur lequel pourrait se rendre toute
personne munie d'une arme à feu ou d'un uniforme (ou des
deux) et où il serait légal de tirer. De cette façon,
tout utilisateur actif serait aussi potentiellement passif. Quand
le stock complet de munitions sera épuisé, quand
il ne restera plus qu'une personne trônant sur la pile de
cadavres pourrissants, on lui donnera la légion d'honneur.
Et l'armée? Et
la police? Et la défense de nos pays qu'un sang impur ne
foulera jamais? Qu'on munisse soldats et policiers d'opinels (le
modèle à virole) et de couteaux de farces-et-attrapes
à lame rétractable. Et la surpopulation? Tous ces
non Européens qui ne seront plus assassinés, qui
vont proliférer et qui finiront bien par nous envahir lorsqu'ils
seront devenus si nombreux? Eh bien, on verra, on pourrait par
exemple les laisser entrer. Nous, on est bien allés les
emmerder chez eux sans leur demander la permission.